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une bouteille de vin ; il la but d’un trait, parla avec une assurance qui charma le tribunal. Maillard proclama que la justice du peuple punissait les actes et non les pensées. Il le renvoya absous.

On voit par ce seul fait l’audace extraordinaire du juge de l’Abbaye. Il mit parfois à une rude épreuve l’obéissance des meurtriers. Quelquefois ils s’indignèrent, réclamèrent, entrèrent dans le tribunal, le sabre à la main. Une fois devant Maillard, ils étaient intimidés et ils s’en allaient.

Il y avait à l’Abbaye une fille charmante, Mlle Cazotte, qui s’y était enfermée avec son père. Cazotte, le spirituel visionnaire, auteur d’opéras-comiques, n’en était pas moins très aristocrate ; il y avait contre lui et ses fils des preuves écrites très graves[1]. Il n’y avait pas beaucoup de chances qu’on pût le sauver. Maillard accorda à la jeune demoiselle la faveur d’assister au jugement et au massacre, de circuler librement. Cette fille courageuse en profita pour capter la faveur des meurtriers ; elle les gagna, les charma, conquit leur cœur, et quand son père parut, il ne se trouva plus personne qui voulût le tuer[2].

  1. Le dossier que nous possédons aux Archives nationales témoigne de la légèreté des conspirateurs royalistes. L’un des complices de Cazotte lui envoie, pour l’encourager, les prophéties de Nostradamus.
  2. Les dévouements de Mlles Cazotte et de Sombreuil étaient toutefois commandés par le devoir et la nature. D’autres, plus spontanés encore, furent, en ce sens, plus admirables. L’horloger Monnot sauva l’abbé Sicard au péril de sa vie. Geoffroy-Saint-Hilaire, non content d’avoir obtenu la liberté de son professeur Hauy, conçut l’audacieux projet de sauver ses maîtres, les professeurs de Navarre, enfermés à Saint-Firmin. Ce jeune homme de