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Ils le montraient avec bonheur, avec enthousiasme, le recommandaient à la pitié du peuple. S’ils ne le connaissaient point, n’avaient rien à dire de lui, leur imagination exaltée suppléait et lui composait sa légende ; ils la contaient, chemin faisant, et, chose étrange, à mesure qu’ils l’improvisaient et la faisaient croire aux passants, ils la croyaient aussi eux-mêmes. « Citoyens, disaient-ils, vous voyez bien ce patriote, eh bien, on l’avait enfermé pour avoir trop bien parlé de la nation… » — « Voyez ce malheureux, criait un autre, ses parents l’avaient fait mettre aux oubliettes pour s’emparer de son bien. » — « En même temps, dit celui auquel nous empruntons ces détails, les passants se pressaient pour me voir autour du fiacre où j’étais, m’embrassaient par les portières… »

Ceux qui reconduisaient un prisonnier se faisaient scrupule d’en rien recevoir, se contentant d’accepter tout au plus un verre de vin des amis ou des parents chez qui ils le ramenaient. Ils disaient qu’ils étaient assez payés de voir une telle scène de joie et souvent pleuraient de bonheur.

Il y avait, au moins dans ces commencements du massacre, un désintéressement très réel. Des sommes considérables en louis d’or, qu’on trouva à l’Abbaye sur les premières victimes, furent immédiatement portées à la Commune. Il en fut de même aux Carmes. Le savetier qui y était entré le premier et s’était fait capitaine, eut un soin scrupuleux de tout ce qu’on prit. Un témoin oculaire, qui me l’a