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trouvèrent, par la grâce de Maillard, avec l’approbation de la foule, composer le formidable tribunal populaire qui d’un signe donnait la vie ou la mort. Pâles et muets, ils siégèrent là la nuit et les jours suivants, jugeant par signes, opinant par des mouvements de tête. Plusieurs, quand ils voyaient la foule un peu favorable à tel prisonnier, hasardaient parfois un mot d’indulgence.

Avant la création de ce tribunal, un seul homme avait été épargné, l’abbé Sicard, instituteur des sourds-muets, réclamé d’ailleurs par l’Assemblée nationale. Depuis que Maillard siégea avec son jury, il y eut distinction ; il y eut des coupables et des innocents ; beaucoup de gens échappèrent. Maillard consultait la foule, mais en réalité, son autorité était telle qu’il imposait ses jugements. Ils étaient respectés, quels qu’ils fussent, lors même qu’ils absolvaient. Quand le noir fantôme se levait, mettait la main sur la tête du prisonnier, le proclamait innocent, personne n’osait dire : « Non. » Ces absolutions, solennellement prononcées, étaient généralement accueillies des meurtriers avec des clameurs de joie. Plusieurs, par une étrange réaction de sensibilité, versaient des larmes et se jetaient dans les bras de celui qu’un moment auparavant ils auraient égorgé. Ce n’était pas une petite épreuve que de recevoir ces poignées de main sanglantes, d’être serré sur la poitrine de ces meurtriers sensibles. Ils ne s’en tenaient pas là. Ils reconduisaient « ce brave homme, ce bon citoyen, ce bon patriote ».