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Manuel, qui était fort aimé, vint de la Commune, prêcha, fit les derniers efforts, et il eut la douleur de voir le peu que sert l’amour du peuple. Il ne s’en fallut guère que les furieux ne missent la main sur lui. L’Assemblée avait envoyé aussi plusieurs de ses membres les plus populaires : le bon vieux Dusaulx, dont la noble figure militaire, les beaux cheveux blancs, pouvaient rappeler au peuple son temps d’héroïque pureté, la prise de la Bastille ; Isnard aussi, l’orateur de la guerre, aux brûlantes paroles. On leur avait adjoint un héros de la populace, violent, grivois, fait pour répondre aux mauvaises passions, pour les modérer peut-être en les partageant ; je parle du capucin Chabot.

Tout cela fut inutile. La foule était sourde et aveugle ; elle buvait de plus en plus, de moins en moins comprenait. La nuit venait ; les sombres cours de l’Abbaye devenaient plus sombres. Les torches qu’on allumait faisaient paraître plus obscur ce qu’elles n’éclairaient pas de leurs funèbres lueurs. Les députés, au milieu de ce tumulte effroyable, n’étaient nullement en sûreté. Chabot tremblait de tous ses membres. Il a assuré plus tard qu’il croyait avoir passé sous une voûte de dix mille sabres. Tout menteur qu’il fût d’habitude, je crois volontiers qu’il n’a pas menti. L’éblouissement de la peur lui aura multiplié à l’infini les objets. Du reste, il suffit de voir le lieu de la scène, les cours de l’Abbaye, le parvis de l’Église, la rue Sainte-Marguerite, pour comprendre que quelques centaines