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voitures ; cela les protégeait un peu. Il fallait que les massacreurs trouvassent moyen ou d’irriter les prisonniers à force d’outrages, au point qu’ils perdissent patience, s’emportassent, oubliassent le soin de leur vie, parussent avoir provoqué, mérité leur malheur ; ou bien encore il fallait irriter le peuple, soulever sa fureur contre les prisonniers ; c’est ce qu’on essaya de faire d’abord. La procession lente de six fiacres eut tout le caractère d’une horrible exhibition… « Les voilà, criaient les massacreurs ; les voilà, les traîtres ! ceux qui ont livré Verdun ; ceux qui allaient égorger vos femmes et vos enfants… Allons, aidez-nous, tuez-les. »

Cela ne réussissait point. La foule s’irritait, il est vrai, aboyait autour, mais n’agissait pas. On n’obtint aucun résultat le long du quai, ni dans la traversée du Pont-Neuf, ni dans toute la rue Dauphine. On arrivait au carrefour Buci, près de l’Abbaye, sans avoir pu lasser la patience des prisonniers, ni décider le peuple à mettre la main sur eux. On allait entrer à la prison, il n’y avait pas de temps à perdre ; si on les tuait, arrivés, sans que la chose fût préparée par quelque démonstration quasi populaire, il allait devenir visible qu’ils périssaient par ordre et du fait de l’autorité. Au carrefour, où se trouvait dressé le théâtre des enrôlements, il y avait beaucoup d’encombrement, une grande foule. Là, les massacreurs, profitant de la confusion, prirent leur parti et commencèrent à lancer des coups de sabre et des coups de pique tout au travers des voitures.