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Les hommes qui souffrent à voir une vertu trop parfaite ont cherché inquiètement s’ils ne trouveraient pas quelque faiblesse en la vie de cette femme ; et sans preuve, sans le moindre indice[1], ils ont imaginé qu’au fond du drame où elle devenait acteur, à son moment le plus viril, parmi les dangers, les horreurs (après septembre apparemment ? ou à la veille du naufrage qui emporta la Gironde ?) Madame Roland avait le temps, le cœur d’écouter les galanteries et de faire l’amour… — La seule chose qui les embarrasse, c’est de trouver le nom de l’amant favorisé.

Encore une fois, il n’y a nul fait qui motive ces suppositions. Madame Roland, tout l’annonce, fut toujours reine d’elle-même, maîtresse absolue de ses volontés, de ses actes[2]. N’eut-elle aucune émotion, cette âme forte, mais passionnée ? N’eut-elle pas son orage ?… Cette question est tout autre, et sans hésiter je répondrai : Oui.

    mort aux regards, de ne point s’empoisonner, mais d’accepter l’échafaud, de mourir publiquement, d’honorer par son courage la république et l’humanité. Il la suit à l’immortalité, pour ce conseil héroïque. Madame Roland y marche souriante, la main dans la main de son austère époux, et elle y mène avec elle ce jeune groupe d’aimables, d’irréprochables amis (sans parler de la Gironde), Bosc, Champagneux, Bancal des Issarts. Rien ne les séparera.

  1. Si vous cherchez ces indices, on vous renvoie à deux passages des Mémoires de Madame Roland, lesquels ne prouvent rien du tout. Elle parle des passions, « dont à peine, avec la vigueur d’un athlète, elle sauve l’âge mûr ». Que conclurez-vous de là ? — Elle parle des « bonnes raisons » qui, vers le 31 mai, la poussaient au départ. Il est bien extraordinaire et absurdement hardi d’induire que ces bonnes raisons ne peuvent être qu’un amour pour Barbaroux ou Buzot !
  2. Les Lettres de Madame Roland à Buzot, récemment publiées, ne changent rien à l’opinion que j’exprimais en 1848. L’écrit testamentaire de Buzot, publié par M. Dauban, témoigne par une allusion fort claire que ce sentiment resta toujours dans la plus haute région morale.