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émotion malgré eux, ne se sentissent profondément avertis des terribles jeux du sort. Deux faits prouveront assez ce mélange si naturel de sentiments contraires. Un royaliste, un député, M. de Guilhermy, indigné de voir qu’on obligeait tout le monde de garder son chapeau sur la tête, au passage du roi, jeta le sien bien loin dans la foule, en criant : « Qu’on ose me le rapporter ! » On respecta ou son courage ou sa fidélité ; personne ne murmura. Même scène aux portes du palais. Cinq ou six femmes de la reine voulaient entrer aux Tuileries pour la recevoir ; les sentinelles les arrêtaient, des poissardes les injuriaient, en criant : « Esclaves de l’Autrichienne ! — Écoutez, dit l’une des femmes, sœur de Mme Campan, je suis attachée à la reine depuis l’âge de quinze ans ; elle m’a dotée et mariée ; je l’ai servie puissante et heureuse. Elle est infortunée en ce moment, dois-je l’abandonner ?… — Elle a raison, s’écrièrent les poissardes, elle ne doit pas abandonner sa maîtresse ; faisons-les entrer. » Elles entourèrent la sentinelle, forcèrent le passage et introduisirent les femmes.

Tel était le peuple, partagé entre deux sentiments contraires, l’humanité d’une part, de l’autre l’indignation, la défiance (trop fondée, on le verra tout à l’heure). La scène véritablement lugubre du retour du roi avait impressionné vivement les esprits. Le soir même, dans les familles, les femmes avaient le cœur bien gros et beaucoup ne soupèrent pas. Le lendemain on promena le dauphin sur la terrasse