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Un seul homme fut tué dans le retour de Varennes, un chevalier de Saint-Louis, qui, monté comme un saint Georges, vint hardiment caracoler à la portière, au milieu des gens à pied, et démentir par ses hommages la condamnation du roi par le peuple. Il fallut que l’aide de camp le priât de s’éloigner ; il était trop tard ; il essaya de se tirer de la foule, en ralentissant le pas ; puis, se voyant serré de près, il piqua des deux et se jeta dans les terres. On tira, il répondit ; quarante coups de fusil, tirés à la fois, l’abattirent ; il disparut un moment dans un groupe, où on lui coupa la tête. Cette tête sanglante fut inhumainement apportée jusqu’à la portière ; on obtint à grand’peine de ces sauvages qu’ils tinssent éloigné des yeux de la famille royale cet objet d’horreur.

À Châlons, la scène change. Cette vieille ville, sans commerce, était peuplée de gentilshommes, de rentiers, de bourgeois royalistes. Étrangers aux idées du temps, ignorants de la situation, ces hommes de l’ancien régime virent avec un attendrissement extraordinaire leur pauvre roi traîné ainsi ; les voilà tous qui demandent à être présentés ; les dames et demoiselles viennent offrir aux princesses des fleurs mouillées de leurs larmes. Un somptueux couvert est préparé ; la famille royale soupe en public, on circule autour des tables. Est-ce Châlons ou Versailles ? Le roi ne le sait plus bien. La garde nationale arrive : « Ne craignez rien, Sire, nous vous défendrons. » Quelques-uns allaient jusqu’à dire qu’ils mèneraient le roi jusqu’à Montmédy.