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nées qu’on avait alors. Pour la faire il fallait une foi immense, croire à la force contagieuse du principe proclamé par la France, à la victoire infaillible de l’équité ; — croire aussi que, dans l’immensité d’un mouvement où la nation tout entière se précipitait, tous les obstacles intérieurs, les petites malveillances, les essais de trahison, se trouvaient neutralisés, et qu’il n’y avait pas de cœur d’homme, tant dur et perfide fût-il, qui ne se changeât devant ce spectacle unique de la rencontre des peuples, courant l’un à l’autre en frères et pleurant dans l’émotion du premier embrassement.

Oh ! le grand cœur de la France, en 1792 ! quand reviendra-t-il jamais ? Quelle tendresse pour le monde, quel bonheur de le délivrer ! quelle ardeur de sacrifice ! et comme tous les biens de la terre pesaient peu en ce moment !

Ce bon cœur éclata de la manière la plus touchante dans la délivrance des Vaudois du régiment de Châteauvieux, que décréta l’Assemblée. C’était une tache infamante pour l’honneur de la nation qu’elle se constituât geôlier et bourreau pour la tyrannie des Suisses, qu’elle se chargeât de tenir aux galères quarante infortunés Français, d’un pays français de cœur et de langue sous le bâton allemand. On se rappelle ce jugement féroce des officiers suisses, à Nancy, qui battirent à mort, rouèrent ou pendirent des soldats qui, s’étant réfugiés en quelque sorte au foyer de la France, réclamaient, comme leur droit, l’exécution des lois de l’Assemblée ; quarante, par grâce singu-