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qu’il venait de battre, il avait besoin de montrer combien le ministre jacobin avait été respectueux, sensible pour les royales infortunes. Tout cela lui servit fort à ramener l’opinion : celle du public, jamais ; mais celle des gouvernements, qui virent bien tout le parti qu’on pouvait tirer d’un tel homme. Ils le virent trop bien, s’il est vrai que ce fut le vieux Dumouriez, à soixante-dix ans, qui rédigea pour les Anglais les plans de la résistance espagnole, prêta sa vive lumière à leurs généraux et posa la fatale borne où vint se briser l’Empire.

Revenons au petit salon de la rue Guénégaud, à la première entrevue de Dumouriez et des Roland. Madame n’eut aucune prévention favorable ; elle lui trouva l’œil faux. Cet œil, ombragé d’épais sourcils noirs qui déjà blanchissaient un peu, était héroïque et devenait doux ; mais le politique immoral, le sceptique, le cynique, n’y perçaient que trop. Dumouriez avait toujours aimé les femmes, longtemps de cœur, avec une persévérance rare et romanesque. À son âge, il aimait encore, sans beaucoup de choix, il est vrai, une femme d’esprit surtout, fort aristocrate, la sœur du fameux Rivarol. Au premier coup d’œil sur le vieux mari et sur Madame Roland, il eut l’idée audacieuse qu’il pourrait à la royaliste adjoindre la républicaine. Sa légèreté déplut, certains mots spécialement où perçait le mauvais ton de la société qu’il fréquentait. Madame Roland fut grave et polie, le tint toujours à distance. Il sentit qu’elle le jugeait et ne l’en aima pas mieux.