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Junon, de magnifiques cheveux noirs qui, tombant en grosses boucles, donnaient grand effet au buste, et même relativement faisaient paraître les traits plus délicats, moins hommasses. Mais ce qui la paraît le plus, ce qui faisait tout oublier, c’étaient ses yeux, des yeux uniques, noirs et inondés de flammes, rayonnants de génie, de bonté et de toutes les passions. Son regard était un monde. On y lisait qu’elle était bonne et généreuse entre toutes. Il n’y avait pas un ennemi qui pût l’entendre un moment, sans dire en sortant, malgré lui : « Ô la bonne, la noble, l’excellente femme ! »

Retirons le mot de génie pourtant ; réservons ce mot sacré. Madame de Staël avait, en réalité, un grand, un immense talent, et dont la source était au cœur. La naïveté profonde et la grande invention, ces deux traits saillants du génie, ne se trouvèrent jamais chez elle. Elle apporta, en naissant, un désaccord primitif d’éléments qui n’allait pas jusqu’au baroque, comme chez Necker, son père, mais qui neutralisa une bonne partie de ses forces, l’empêcha de s’élever et la retint dans l’emphase. Ces Necker étaient des Allemands établis en Suisse. C’étaient des bourgeois enrichis. Allemande, Suisse et bourgeoise, Madame de Staël avait quelque chose, non pas lourd, mais fort, mais épais, peu délicat. D’elle à Jean-Jacques, son maître, c’est la différence du fer à l’acier.

Justement parce qu’elle restait bourgeoise, malgré son talent, sa fortune, son noble entourage, Madame