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Pour mettre en mouvement cette belle troupe, il fallait des moyens extraordinaires. On en trouva un, exécrable. Le beau-frère de Duprat, l’apothicaire Mende, s’établit dans la cour avec des liqueurs préparées exprès. Quels furent ces horribles breuvages ? On l’ignore ; les effets ne furent que trop visibles. À mesure qu’ils burent, ils devinrent exaltés, furieux, ils se ruèrent à la sanglante besogne. Il y en eut pourtant qui, les premiers coups portés, défaillirent et se trouvèrent mal. Ils redescendaient dans la cour, et l’apothicaire leur versait une dose nouvelle d’ivresse et de fureur.

Personne ne les conduisit, ne les dirigea, ne les surveilla. Duprat, l’âme de l’entreprise, ne parut nulle part. Jourdan s’enferma chez lui, avec son énorme dogue, qui ne le quittait jamais. Il était ivre tous les soirs, et, ce soir-là, il but encore plus qu’à l’ordinaire. Il voulut tout ignorer ; seulement, à travers l’ivresse, il entendit (dit-il plus tard) quelque tapage aux prisons.

Le massacre, livré ainsi au hasard, à l’inexpérience de gens si mal armés et qui ne savaient pas tuer, fut infiniment plus cruel que s’il eût été fait par des bourreaux. Il n’eut pas lieu à une même place. Les uns furent tués à l’entrée même des prisons, d’autres dans une des cours, d’autres encore dans un escalier. Les portes étaient ouvertes. Il venait des gens de la ville, les uns pour réclamer tel ou tel, d’autres attirés par les cris, par une invincible curiosité ; mais ils ne pouvaient rester, le cœur leur manquait ;