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mal à la place. La population assiégée, quand elle vit l’innocence de ces boulets impuissants, allait avec des risées les ramasser dans la campagne. Pour comble d’humiliation, des femmes avaient pris les armes, une dame noble du Dauphiné entre autres ; de sorte que les infortunés Avignonnais entendaient dire que les femmes suffisaient pour leur résister.

L’inexpérience et l’indiscipline expliquaient assez ce revers. Duprat et Mainvielle l’attribuaient à la trahison. Ils soupçonnaient le chevalier Patrix, ce Catalan qu’ils avaient fait général. Il avait fait évader un prisonnier considérable. Lui-même, ils le firent tuer. Ils le remplacèrent par un homme illettré, grossier, tout à fait à eux. Pour conduire ces bandes mal disciplinées, mêlées de portefaix, de paysans, de déserteurs français, il fallait un homme du peuple. Ils choisirent un certain Mathieu Jouve, qui se faisait appeler Jourdan. C’était un Français, né dans un des plus rudes pays de France, pays de glace et de feu, terre volcanique, éternellement rasée par la bise, les hauteurs quasi désertes qui entourent le Puy-en-Velay. Il était d’abord muletier, puis soldat, puis cabaretier à Paris. Transplanté à Avignon, il y vendait de la garance. Bavard et vantard, il faisait croire au petit peuple que c’était lui qui avait coupé la tête au gouverneur de la Bastille, puis coupé encore la tête aux gardes du corps du 6 octobre. À force de le lui entendre dire, on l’appelait Jourdan coupe-tête. La sienne était fort burlesque, par un mélange singulier de bonhomie et