Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 3.djvu/256

Cette page a été validée par deux contributeurs.

La France avait ce sentiment en 1791, le sentiment de sa virginité puissante ; elle marchait la tête haute, le cœur pur, sans intérêt personnel ; elle se savait adorable et, dans la réalité, adorée des nations.

Elle jugeait parfaitement que l’amour des peuples lui assurait pour toujours l’invariable haine des rois, des rois même qui auraient pu trouver leur compte à la Révolution. Elle sentait, d’instinct, cette vérité, si peu connue des diplomates, qui voient tout dans l’intérêt : « Les hommes, même contre l’intérêt, suivent leur nature, leurs habitudes ; et les suivant, ils s’imaginent consulter l’utilité. »

La seule différence qu’il y eût entre les rois, relativement à la Révolution, c’est que les uns auraient voulu l’égorger ; les autres, plus dangereux, arrivaient tout doucement pour l’étouffer, comme sous l’oreiller d’Othello.

Deux personnes haïrent la France nouvelle d’une haine profonde et féroce, la grande Catherine et M. Pitt.

On a beau dire que la première était trop loin pour prendre intérêt à la chose. Personne n’y mit plus de passion. Jusque-là, cette femme allemande, usant, abusant du grand peuple russe[1], marchait

  1. Grand peuple ! pauvre peuple !… On plaint toujours la Pologne ; pourquoi ne plaint-on la Russie ? Cette race bonne et douce, docile, plus tendre aux affections domestiques qu’aucune nation du monde, est barbarement menée depuis un siècle par le bâton allemand ; elle obéit à l’étranger (tout comme la Pologne), à une dynastie allemande, à la bureaucratie militaire de l’Allemagne, éminemment dure et pédantesque. Nul mystère plus sombre, plus triste pour celui qui interroge les voies de la Providence !