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C’est que cet homme ne supportait pas patiemment de se voir ainsi troublé dans sa possession récente, dans ce premier moment où la dignité humaine s’était éveillée en lui. Libre et foulant un champ libre, s’il frappait du pied, il sentait dessous une terre sans droit ni dîme, qui déjà était à lui ou serait à lui demain… Plus de seigneurs ! tous seigneurs ! tous rois, chacun sur sa terre, le vieux dicton réalisé : « Pauvre homme, en sa maison, roi est. »

Et en sa maison et dehors. Est-ce que la France entière n’est pas sa maison maintenant ? Hier, il venait, tremblant, mendier la justice par-devant Messieurs, comme si c’était une grâce ; il lui fallait payer d’abord, puis l’on se moquait de lui. Lui-même aujourd’hui est juge, et il rend gratis la justice aux autres. Le voilà, ce paysan, assesseur du juge de paix, membre du conseil municipal, l’un des treize cent mille nouveaux magistrats, électeur (il y en avait entre trois et quatre millions) s’il paye trois journées par an. Et qui ne les payera pas, qui ne sera propriétaire, au prix où la terre se donne, s’offrant avec des délais si faciles, venant dire en quelque sorte : « Prends-moi ; tu payeras quand tu pourras. » La première récolte suffisait souvent pour payer, ou la première coupe, ou quelques pierres qu’on revendait, ou quelque plomb pris d’un toit.

Mais ce n’est pas tout, mon ami, te voilà un homme public, un citoyen, un soldat, un électeur ; te voilà bien responsable. Sais-tu que tu. as une conscience qu’il te faut interroger ? Sais-tu que ce grand nombre