Car enfin que signifiait cette vente ? Qu’une foule d’hommes venaient d’engager leur fortune dans la cause révolutionnaire ; plus que leur fortune peut-être, leur vie, et plus encore que leur vie, la destinée de leurs familles.
Ce n’était pas une chose sans péril, en 1791, pour eux et les leurs, d’acheter ces biens. Les sarcasmes, les injures, les menaces secrètes, ne manquaient point à l’acquéreur. Il en souffrait moins dans les grandes villes, où l’on connaît peu son voisin ; mais, dans les petites, sa situation était presque intolérable. La superstition, la haine, la malice universelle, l’enfermaient, pour ainsi dire, d’un cercle maudit. Tout ce qui pouvait lui arriver de fâcheux était un châtiment du ciel. Son enfant était malade ? Châtiment. Sa femme avortait ? Châtiment. S’il avait quelque accident, tout le monde en louait Dieu. Dans une ville éloignée de trente et quelques lieues de Paris, la flèche de la cathédrale branlait depuis longtemps, au grand péril des maisons voisines ; un maçon l’achète pour la démolir ; peu après il tombe d’un échafaudage et se tue : la ville en fait des feux de joie.
Au milieu de la malveillance universelle, les acquéreurs se rapprochaient les uns les autres et se tenaient fortement. Cela seul d’avoir acquis des biens de la nation, c’était un signe certain auquel les amis de la Révolution se reconnaissaient, ceux qui avaient embarqué leur bien et leur vie sur le vaisseau de la République, se remettant à sa for-