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De cinq ou six millions d’électeurs qu’avait donnés le suffrage universel, il en resta quatre millions quatre cent mille[1] (propriétaires ou locataires).

Les amis de l’idéal, Grégoire, Duport, Robespierre, objectèrent inutilement que les hommes étaient égaux, donc que tous devaient voter, aux termes du droit naturel. Deux jours avant, le royaliste Montlosier avait prouvé aussi que les hommes étaient égaux.

Dans la crise où l’on était, rien de plus vain, de plus funeste que cette thèse de droit naturel. Les utopistes, au nom de l’égalité, donnaient un million d’électeurs aux ennemis de l’égalité.

La gloire de cette mesure vraiment révolutionnaire revient à l’illustre légiste de Normandie, à Thouret, un Sieyès pratique, qui fit faire à l’Assemblée, ou du moins facilita les grandes choses qu’elle fit alors. Sans éclat, sans éloquence, il trancha de sa logique les nœuds où les plus forts, les Sieyès, les Mirabeau, semblaient s’embrouiller.

Lui seul finit la discussion des biens du Clergé en la tirant des disputes inférieures, l’élevant hardiment dans la lumière du droit philosophique. Toute son argumentation, en octobre et en décembre, revient à ce mot profond : « Comment posséderiez-vous ? dit-il au corps du Clergé, vous n’existez pas. »

Vous n’existez pas comme corps. Les corps moraux que crée l’État ne sont pas des corps au sens propre, ne sont pas des êtres vivants. Ils ont une existence

  1. C’est du moins le nombre que l’on trouve en 1791. Nous reviendrons sur ce point important.