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de la plus grande partie des terres, dominant dans les campagnes, ils tenaient dans leur dépendance tout un monde de serviteurs, de clients à divers titres. Ces hommes des campagnes, appelés à voter par l’élection universelle de Necker, au printemps de 1789, avaient généralement bien voté, parce que leurs patrons pour la plupart se faisaient une gloriole de pousser aux États généraux, qu’ils croyaient chose peu sérieuse. Mais des siècles avaient passé en un an. Les mêmes patrons aujourd’hui, vers la fin de 1789, allaient certainement faire des efforts désespérés pour faire voter les campagnes contre la Révolution ; ils allaient mettre le fermier entre son patriotisme (bien jeune encore) et son pain ; ils allaient mener par bandes leurs laboureurs soumis, tremblants, jusqu’à l’urne électorale, les faire voter sous le bâton. Les choses changeront tout à l’heure, quand le paysan pourra entrevoir l’acquisition des biens de l’Église et du domaine, quand l’Assemblée aura créé par ces ventes une masse de propriétaires et de libres électeurs. Pour le moment, rien de tel. Les campagnes sont encore soumises au servage électoral. Le suffrage universel de Necker, si l’Assemblée l’eût adopté, donnait incontestablement la victoire à l’ancien régime.

L’Assemblée, le 22 octobre, décréta que nul ne serait électeur s’il ne payait en imposition directe, comme propriétaire ou locataire, la valeur de trois journées de travail (c’est-à-dire, au plus trois francs).

Avec cette ligne, elle rafla des mains de l’aristocratie un million d’électeurs de campagne.