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essayé de déménager les meubles et voitures qui encombraient le passage étroit du pont. Des menaces de mort s’entendaient près de la voiture : plusieurs, armés de fusils, faisaient mine de la mettre en joue On descendit, on entra dans la boutique de Sauce, les trois dames, les deux enfants, et Durand, le valet de chambre. On conteste à celui-ci sa qualité de valet. Il insiste, soutient son nom de Durand. Tout le monde secoue la tête : « Eh bien, oui, je suis le roi ; voici la reine et mes enfants. Nous vous conjurons de nous traiter avec les égards que les Français ont toujours eus pour leurs rois. » Louis XVI n’était pas parleur, il n’en dit pas davantage. Malheureusement son habit, son triste déguisement parlait peu pour lui. Ce laquais, en petite perruque, ne rappelait guère le roi. Le contraste terrible de ce rang, de cet habit, pouvait inspirer la pitié plus que le respect. Plusieurs se mirent à pleurer.

Cependant le bruit du tocsin augmentait d’une manière extraordinaire. C’étaient les cloches des villages, qui, mises en branle par celles qui sonnaient de Varennes, sonnaient à leur tour le tocsin. Toute la campagne ténébreuse était en émoi ; du clocher on aurait pu voir courir des petites lumières qui s’attiraient, se cherchaient ; une grande nuée d’orage se concentrait de toute part ; une nuée d’hommes armés, pleins d’agitation, de trouble.

« Quoi ! c’est le roi qui se sauve ! le roi passe à l’ennemi ! il trahit la nation !… » Ce mot, terrible de lui-même, sonne plus terrible encore à l’oreille