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besoin, et conduire toute l’affaire. Mais Mme de Tourzel, gouvernante des enfants de France, soutint le privilège de sa charge : en vertu du serment qu’elle avait prêté, elle avait le devoir, le droit de ne point quitter les enfants ; ce mot de serment fit une grande impression sur Louis XVI. Il était d’ailleurs inouï, dans les fastes de l’étiquette, que les enfants de France voyageassent sans gouvernante. Le militaire ne monta pas et la gouvernante monta : au lieu d’un homme capable, on eut une femme inutile. L’expédition n’eut point de chef, personne pour la diriger ; elle alla, sans tête, au hasard.

Le romanesque de l’aventure, malgré toutes les craintes, amusa la reine. Elle s’arrêta longtemps à voir déguiser ses enfants ; elle fit l’incroyable imprudence de sortir, pour les voir partir, dans la place du Carrousel, extrêmement éclairée. Ils montèrent dans un fiacre, dont le cocher était Fersen ; pour mieux dépayser ceux qui pourraient suivre, il fit quelques tours dans les rues, revint, attendit encore une heure au Carrousel ; enfin arriva Madame Élisabeth, puis le roi, puis, plus tard, la reine, conduite par un garde du corps ; celui-ci, connaissant mal Paris, lui avait fait passer le pont, l’avait menée rue du Bac. Revenue dans le Carrousel, elle vit, avec haine, avec joie, passer La Fayette en voiture, qui revenait des Tuileries, ayant manqué le coucher du roi. On dit que, dans le bonheur enfantin d’avoir attrapé son geôlier, elle toucha la roue d’une badine qu’elle tenait à la main, comme les femmes en portaient