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trahir l’amitié !… Sublime enfant ! mais sans mesure, toujours extrême en tout sens !

« Pour moi, lorsqu’on m’eut levé le drap mortuaire, à la vue d’un homme que j’avais idolâtré, j’avoue que je n’ai pas senti venir une larme, et que je l’ai regardé d’un œil aussi sec que Cicéron regardait le corps de César percé de vingt-trois coups. Je contemplais ce superbe magasin d’idées, démeublé par la mort ; je souffrais de ne pouvoir donner des larmes à un homme, et qui avait un si beau génie, et qui avait rendu de si éclatants services à sa patrie, et qui voulait que je fusse son ami. Je pensais à cette réponse de Mirabeau mourant à Socrate mourant, à sa réfutation du long entretien de Socrate sur l’immortalité, par ce seul mot : Dormir. Je considérais son sommeil, et, ne pouvant m’ôter l’idée de ses projets contre l’affermissement de notre liberté et jetant les yeux sur l’ensemble de ses deux dernières années, sur le passé et sur l’avenir, à son dernier mot, à cette profession de matérialisme et d’athéisme, je répondais aussi par ce seul mot : Tu meurs. »

Non, Mirabeau ne peut mourir. Il vivra avec Desmoulins. Celui qui appelait le peuple au 12 juillet 1789, celui qui le 23 juin dit la grande parole du peuple à la vieille monarchie, le premier orateur de la Révolution et son premier écrivain vivront toujours dans l’avenir, et rien ne les séparera.

Sacré par la Révolution, identifié avec elle, avec nous par conséquent, nous ne pouvons dégrader cet