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Le flot montait, la marée venait de la grande mer. Lui, robuste athlète, il était là sur le rivage, dans la ridicule attitude de combattre l’Océan ; le flot n’en montait pas moins ; hier l’eau jusqu’à la cheville, aujourd’hui jusqu’au genou, demain jusqu’à la ceinture… Et chaque vague de cet Océan n’avait ni figure ni forme ; chaque flot qu’il prenait, serrait de sa forte main, coulait, faible, fade, incolore.

Lutte ingrate, qui n’était nullement celle des principes opposés. Mirabeau pouvait à peine définir contre quoi il combattait. Ce n’était nullement le peuple, nullement le gouvernement populaire. Mirabeau eût gagné à la république ; il eût été incontestablement le premier citoyen. Il luttait contre un parti immense et très faible, mêlé d’apparences diverses, et qui lui-même ne voulait rien de plus qu’une apparence, un je ne sais quoi, un introuvable milieu, ni monarchie ni république, parti métis, à deux sexes, ou plutôt sans sexe, impuissant, mais, comme les eunuques, s’agitant en proportion de son impuissance.

Le ridicule choquant de la situation, c’est que c’était ce néant, qui, au nom d’un système encore introuvé, organisait la Terreur.

Le chagrin saisit Mirabeau, le dégoût. Il commençait à entrevoir qu’il était dupe de la cour, joué par elle, mystifié. Il avait rêvé le rôle d’arbitre entre la Révolution et la monarchie ; il croyait prendre ascendant sur la reine, comme homme, et homme d’État, la sauver. La reine, qui voulait moins être