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de la Bastille qui se trouvaient parmi les convives tirent leurs sabres et, sans mot dire, mettent la bastille en pièces ; il en sort un enfant avec le bonnet de la liberté. Les dames placent des couronnes civiques sur la tête des députés patriotes, et le dîner finit comme il avait commencé : le président, pour oraison, prononce, dans la même gravité sombre, le second article de la Déclaration des droits : « Le but de toute association », etc.

Le président était le mathématicien Romme, alors gouverneur des princes Strogonoff. Il avait senti la liberté où on la sent bien : en Russie, il avait bu en plein esclavage la coupe de la Révolution. Ivre et froid en même temps, ce géomètre allait appliquer inflexiblement le nouveau principe, et, par une large soustraction de chiffres humains, en dégager l’inconnue. Immuable calculateur au sommet de la Montagne, il n’en descendit qu’au 2 prairial, pour s’enfoncer son compas dans le cœur.

Les Lameth se virent avec frémissement dans un monde tout nouveau. Les nobles et élégants Jacobins de 1789 aperçurent les vrais Jacobins.

Ils en conviennent eux-mêmes, cet homme de pierre qui présidait, ces textes législatifs récités pour oraisons, le recueillement, le silence de ces fanatiques, « cela leur parut effrayant ». Ils commencèrent à sonder l’océan où ils entraient ; jusque-là, comme des enfants, ils jouaient à la surface… Que de générations révolutionnaires les séparaient de ceux-ci ! Ils les comprenaient à peine. Ils con-