Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 2.djvu/357

Cette page a été validée par deux contributeurs.

son… Cette pauvre Raison, hélas ! périra avec Lucile… Ah ! s’ils avaient tous ici connaissance de leur sort !

Mais qu’est-ce qui préside là-bas ? Ma foi, l’épouvante elle-même… Terrible figure que ce Danton ! Un cyclope ? un dieu d’en bas ?… Ce visage effroyablement brouillé de petite vérole, avec ses petits yeux obscurs, a l’air d’un ténébreux volcan… Non, ce n’est pas là un homme, c’est l’élément même du trouble ; l’ivresse et le vertige y planent, la fatalité… Sombre génie, tu me fais peur ! Dois-tu sauver, perdre la France ?

Voyez, il a tordu sa bouche ; toutes les vitres ont frémi.

« La parole est à Marat ! »

Quoi ! c’est là Marat ? Cette chose jaune, verte d’habit, ces yeux gris jaune, si saillants !… C’est au genre batracien qu’elle appartient à coup sûr, plutôt qu’à l’espèce humaine[1]. De quel marais nous arrive cette choquante créature ?

Ses yeux pourtant sont plutôt doux. Leur brillant, leur transparence, l’étrange façon dont ils errent, regardant sans regarder, feraient croire qu’il y a là un visionnaire, à la fois charlatan et dupe, s’attribuant la seconde vue, un prophète de carrefour, vaniteux, surtout crédule, croyant tout, croyant sur-

  1. Le seul portrait sérieux de Marat est celui de Boze. Ceux de David ont peu de ressemblance. On peut consulter aussi le plâtre pris sur le mort (quoique peut-être il ait été un peu corrigé), et le buste qui était aux Cordeliers (collection de M. le colonel Maurin).