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un tiers de la ville. L’évêque avait conservé le droit seigneurial de nommer les juges au tribunal criminel. Aujourd’hui encore, son palais immense met la moitié d’Arras dans l’ombre. Des rues à noms expressifs, qui rappellent une vie de chicane, circulent humides et tristes sous les murs de ce palais, rue du Conseil, rue des Rapporteurs, etc. C’est dans cette dernière, la plus sombre, la plus triste, dans une maison fort décente d’honorable bourgeoisie que vivait, travaillait, écrivait nuit et jour un avocat au conseil d’Artois, laborieux et honnête, qui fut père de Robespierre en 1758[1].

Il n’était riche que d’estime et de bonheur domestique ; ayant eu le malheur de perdre sa femme, sa vie fut brisée. Il tomba dans une inconsolable tristesse, devint incapable d’affaires, cessa de plaider. On lui conseilla de voyager. Il partit, ne donna plus de nouvelles ; on a toujours ignoré ce qu’il était devenu.

Quatre enfants restaient abandonnés dans cette grande maison déserte. L’aîné, Maximilien, se trouva, à dix ou onze ans, chef de famille, tuteur en quelque sorte de son frère et de ses deux sœurs. Son caractère changea tout à coup ; il devint ce qu’il est resté, étonnamment sérieux ; son visage pouvait sourire ; une sorte de faux sourire en devint même plus tard l’expression habituelle, mais son cœur ne rit plus jamais. Si jeune, il se trouva tout d’abord un père,

  1. Et non 1759. M. Degeorge a bien voulu m’envoyer d’Arras l’acte de naissance retrouvé récemment.