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L’orateur, est-ce bien un prêtre ? De robe, oui, belle figure de quarante ans environ, parole ardente, sèche parfois et violente, nulle onction, l’air audacieux, un peu chimérique. Prédicateur, poète ou prophète, n’importe, c’est l’abbé Fauchet. Ce saint Paul parle entre deux Thécla, l’une qui ne le quitte point, qui bon gré mal gré le suit au club, à l’autel, tant est grande sa ferveur ; l’autre dame, une Hollandaise, de bon cœur et de noble esprit, c’est Mme Palm Aelder, l’orateur des femmes, qui prêche leur émancipation. Elles y travaillent activement. Mlle Kéralio publie un journal. Tout à l’heure Madame Roland sera ministre et davantage.

Je m’étonne peu que ce prophète, si bien entouré de femmes, parle éloquemment de l’amour ; l’amour revient à chaque instant dans ses brûlantes paroles. Heureusement, je comprends, c’est l’amour du genre humain. Que veut-il ? Il semble exposer quelque mystère inconnu qu’il confie à trois mille personnes. Il parle au nom de la nature et néanmoins se croit chrétien. Il marie bizarrement, sous forme franc-maçonnique, Bacon et Jésus. Tantôt en avant de la Révolution, tantôt rétrograde, un jour il prêche La Fayette, un autre jour il dépasse les démocrates et fonde la société humaine sur le devoir de donner à chacun de ses membres la suffisante vie. Plusieurs, dans sa doctrine obscure, croient voir la loi agraire. Son journal, celui du Cercle social pour la fédération des amis de la vérité, s’appelle la Bouche de fer, titre menaçant, effrayant. Cette bouche toujours ouverte