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(janvier 1790) offre le premier exemple de ces tableaux exagères que depuis l’étranger n’a cessé de faire, des violences de la Révolution. Les pages écrites là-dessus par Lally sont copiées, pour les faits, pour les mots même, par tous les écrivains qui suivent. Les soi-disant constitutionnels commencent dès lors contre la France la plus injuste des enquêtes, allant de province en province demander aux seigneurs, aux prêtres : « Qu’avez-vous souffert ? » Puis, sans examen, sans contrôle, sans production de pièces ni de témoins, ils écrivent, ils certifient. Le peuple, victime obligée et nécessaire, après avoir souffert des siècles, dans son jour de réaction, souffre encore. Ses prétendus amis enregistrent avidement tous ses méfaits, vrais ou faux ; ils reçoivent contre lui les témoins les plus suspects ; contre lui, ils croient tout.

Lally marche le premier, il est le maître du chœur ; par lui commence ce grand concert de pleureurs, qui pleurent tous contre la France… Pleureurs du roi, de la noblesse, qui gardez la pitié pour eux, qui n’accordez rien aux millions d’hommes qui souffrirent, périrent aussi, dites-nous donc quel rang, quel blason il faut avoir pour qu’on vous trouve sensibles… Nous avions cru, nous autres, que pour mériter les larmes des hommes, être homme, c’était assez.

Ainsi l’on a mis en branle contre le seul peuple qui voulait le bonheur du genre humain ce grand mouvement de pitié. La pitié est devenue une machine de guerre, une machine meurtrière. Et le monde a été cruel, à mesure qu’il était sensible.