Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 2.djvu/26

Cette page a été validée par deux contributeurs.

que nous pesions des vies d’hommes… d’hommes, hélas ! qui vécurent si peu. C’est une circonstance grave dans la destinée de cette génération, qui oblige, pour être juste, de devenir indulgent : elle tomba dans un moment unique, où s’accumulèrent des siècles ; chose terrible, qui ne s’est vue jamais : plus de succession, plus de transition, plus de durée, plus d’années, plus d’heures ni de jours, le temps supprimé !

Quelqu’un, en 1791, dans l’Assemblée nationale, rappelait 1789 : « Oui, dit-on, avant le déluge. » —

    était l’exécuteur le plus énergique ; il est prouvé par ses lettres, reçus, etc., qu’il faisait fabriquer la poudre, les cartouches. Quant à l’ordre qu’il aurait reçu de couper les blés en vert, pour nourrir la cavalerie, Berthier le niait si peu qu’il désirait vivement faire venir cet ordre, qui eût reporté la responsabilité sur le ministre dont Berthier était l’instrument ; c’est ce qu’il dit lui-même, dans cette journée fatale, à M. Étienne de La Rivière qui l’amenait à Paris, qui le défendait et le couvrait de son corps. Il essaya en vain d’écrire sur la forme de son chapeau pour faire venir cet ordre ; on l’en empêcha. Beaucoup de gens étaient fort intéressés à ce qu’il ne fût point interrogé, et sans doute ils hâtèrent sa mort. Cet ordre et l’interrogatoire auraient dévoilé sans doute le projet de la cour, qui, hésitant à engager ses troupes dans cette grande ville en armes, eût mieux aimé la tenir assiégée et affamée. On craignait tellement la déposition de La Rivière à ce sujet qu’on trouva moyen d’empêcher les journaux de la donner autrement que par extraits infidèles. Le seul Ami du peuple l’inséra intégralement (15 janvier 1790, no 884, p. 5). S’il s’agissait d’une opinion du journaliste, j’aurais quelque défiance, le connaissant si violent, si crédule ; il s’agit ici d’une pièce qu’aucun journal imprimé publiquement n’aurait osé publier. La seule difficulté que je trouve, c’est que cet ordre, si contraire au caractère connu de Necker, porte au bas son nom. L’ordre, approuvé ou non de lui, n’en aura pas moins été envoyé par le conseil des ministres sous le nom du ministre dans les attributions duquel se trouvait l’affaire. — Nous avons examiné tout ceci très froidement, comme on peut croire, avec un respect réel de la vérité, un ferme désir d’être juste. Seulement nous devons rappeler une grave parole de M. de Bouillé (lettre à M. de Choiseul), qui pose et formule très bien les libertés de l’histoire : « Le caractère des hommes publics appartient au public, non à leur famille. »