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plusieurs vinrent sans uniforme. L’hospitalité fut immense, admirable, sur toute la route ; on arrêtait, on se disputait les pèlerins de la grande fête. On les forçait de faire halte, de loger, manger, tout au moins boire au passage. Point d’étranger, point d’inconnu, tous parents. Gardes nationaux, soldats, marins, tous allaient ensemble. Ces bandes qui traversaient les villages offraient un touchant spectacle. C’étaient les plus anciens de l’armée, de la marine, qu’on appelait à Paris. Pauvres soldats tout courbés de la Guerre de Sept-Ans, sous-officiers en cheveux blancs, braves officiers de fortune, qui avaient percé le granit avec leur front, vieux pilotes usés à la mer, toutes ces ruines vivantes de l’Ancien-Régime avaient voulu pourtant venir. C’était leur jour, c’était leur fête. On vit au 14 juillet des marins de quatre-vingts ans qui marchèrent douze heures de suite ; ils avaient retrouvé leurs forces, ils se sentaient, au moment de la mort, participer à la jeunesse de la France, à l’éternité de la patrie.

Et en traversant par bandes les villages ou les villes, ils chantaient de toutes leurs forces, avec une gaieté héroïque, un chant que les habitants sur leurs portes répétaient. Ce chant, national entre tous, rimé pesamment, fortement, toujours sur les mêmes rimes (comme les commandements de Dieu et de l’Église), marquait admirablement le pas du voyageur qui voit s’abréger le chemin, le progrès du travailleur qui voit la besogne avancer. Il a fidèlement suivi l’allure de la Révolution elle-même,