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à la partie leur cœur, leur impuissance même. Un des procès-verbaux les plus informes, qui le croirait ? est celui d’une commune voisine de Versailles et de Saint-Germain. Le papier, grossier et rude, témoigne d’une extrême pauvreté, l’écriture d’une ignorance toute barbare : la plupart ne signent qu’avec des croix ; mais tous signent tellement quellement ; aucun ne veut s’en dispenser ; après le nom de la mère, vous voyez celui de l’enfant, de la petite fille, etc.

Leur grande affaire, en général, où ils ne réussissent pas toujours bien heureusement, c’est de trouver des signes visibles, des symboles, pour exprimer leur foi nouvelle. À Dôle, le feu sacré où le prêtre doit brûler l’encens sur l’autel de la patrie est, au moyen d’un verre ardent, extrait du soleil par la main d’une jeune fille. À Saint-Pierre (près Crépy), à Mello (Oise), à Saint-Maurice (Charente), on mit sur l’autel la Loi même, les décrets de l’Assemblée. À Saint-Maurice, elle fut posée sur une mappemonde qui servait de tapis d’autel, et placée avec l’épée, la charrue et la balance, entre deux boulets de la Bastille.

Ailleurs, une inspiration plus heureuse leur fait choisir des symboles d’union tout humains, des mariages célébrés à l’autel de la patrie, des baptêmes, des adoptions d’un enfant par une commune, par un club. Souvent les femmes font faire un service funèbre aux morts de la Bastille. Ajoutez d’immenses charités, des distributions de vives ; ou bien mieux que la charité, la communauté de vivres, les tables ouvertes à tous. Ce que j’ai trouvé de plus touchant comme bon cœur, c’est (à la Pleyssade, près de Bergerac) une quête que quelques soldats font entre eux, et qui donne une somme énorme (relativement aux facultés de ces pauvres gens), cent vingt francs ! pour une veuve de la Bastille. — À Saint-Jean-du-Gard, la cérémonie finit « par une réconciliation solennelle de ceux qui étaient brouillés ensemble ». À Lons-le-Saulnier, on but : « À tous les hommes, à nos ennemis même, que nous jurons d’aimer et de défendre ! »