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important. La plupart des témoins de ce genre ont trop à compter avec l’histoire, pour qu’elle puisse trouver en eux des guides bien rassurants. Non, quand je dis tradition orale, j’entends tradition nationale, celle qui reste généralement répandue dans la bouche du peuple, ce que tous disent et répètent, les paysans, les gens de ville, les vieillards, les hommes mûrs, les femmes, même les enfants, ce que vous pouvez apprendre, si vous entrez le soir à ce cabaret de village, que vous recueillerez, si, trouvant sur le chemin un passant qui se repose, vous vous mettez à causer de la pluie et du beau temps, puis de la cherté des vivres, puis du temps de l’Empereur, du temps de la Révolution… Notez bien ses jugements ; parfois, sur les choses, il erre, le plus souvent il ignore. Sur les hommes, il ne se méprend point, très rarement il se trompe[1].

Chose curieuse, le plus récent des grands acteurs de l’histoire, celui qu’il a vu et touché, l’Empereur, est celui qu’il charge et défigure le plus de traditions légendaires. La critique morale du peuple, très ferme partout ailleurs, faiblit ici généralement ; deux choses troublent la balance, la gloire, et le malheur aussi, Austerlitz et Saint-Hélène.

Pour les hommes antérieurs, plusieurs choses en sont oubliées, la tradition s’est affaiblie, quant au détail de leurs actes. Mais, quant à leur caractère,

  1. Ceci ne contredit en rien ce que nous avons dit au chapitre x du livre IV. Là il s’agit du public, ici il s’agit du peuple. Ce serait faire injure à l’intelligence du lecteur que d’expliquer la différence.