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sant nos campagnes, de leur misérable apparence, de la tristesse, du désert, de l’horreur, de la pauvreté des sombres chaumières nues et vides, du maigre peuple en haillons. Ils apprennent là ce que l’homme peut endurer sans mourir, ce que personne, ni Anglais, ni Hollandais, ni Allemand, n’aurait supporté.

Ce qui les étonne encore plus, c’est la résignation de ce peuple, son respect pour ses maîtres, laïques, ecclésiastiques, son attachement idolâtrique pour ses rois… Qu’il garde, parmi de telles souffrances, tant de patience et de douceur, de bonté, de docilité, si peu de rancune pour l’oppression, c’est là un étrange mystère. Il s’explique peut-être en partie par l’espèce de philosophie insouciante, la facilité trop légère avec laquelle le Français accueille le mauvais temps ; le beau viendra tôt ou tard ; la pluie aujourd’hui, demain le soleil… Il n’en veut pas à la pluie.

La sobriété française aussi, cette qualité éminemment militaire, aidait à la résignation. Nos soldats, en ce genre, comme en tout autre, ont montré la limite de la force humaine. Leurs jeûnes, dans les marches pénibles, dans les travaux excessifs, auraient effrayé les fainéants solitaires de la Thébaïde, les Antoine et les Pacôme.

Il faut apprendre du maréchal de Villars comment vivaient les armées de Louis XIV[1] : « Plusieurs fois, nous avons cru que le pain manquerait absolument,

  1. Je lis encore dans Villars : « Si vous étiez ici, vous verriez avec édification les soldats et les cavaliers éviter avec le plus grand soin de marcher