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des profondeurs à la surface, l’ascension d’une pensée ? Qui dira les formes confuses, les mélanges, les retards funestes qu’elle subit pendant des siècles ? Combien, de l’instinct au rêve, à la rêverie, et de là au clair-obscur poétique, elle a lentement cheminé ! comme elle a erré longtemps entre les enfants et les simples, entre les poètes et les fols !… Et un matin cette folie s’est trouvée le bon sens de tous !… Mais cela ne suffit pas. Tous pensent, personne n’ose dire… Pourquoi ? Le courage manque donc ? Oui, mais pourquoi manque-t-il ? Parce que la vérité trouvée n’est pas assez nette encore ; il faut qu’elle brille en sa lumière, pour qu’on se dévoue pour elle… Elle éclate enfin, lumineuse, dans un génie, et elle le rend héroïque, elle l’embrase de dévouement, d’amour et de sacrifice… Il la place sur son cœur et va à travers les lions…

De là ce spectacle étrange que je voyais tout à l’heure, cette farce sublime et terrible… Voyez, voyez, comme il a peur, comme il passe, humble et tremblant, comme il serre, il cache, il presse ce je ne sais quoi qu’il porte… Ah ! ce n’est pas pour lui qu’il tremble… Peur glorieuse, peur héroïque !… Ne voyez-vous pas qu’il porte le salut du genre humain ?

Une seule chose m’inquiète… Quel est donc le lieu de refuge où l’on va cacher ce dépôt ? quel autel assez sacré pour garder le sacré trésor ? Et quel dieu est assez dieu pour protéger ce qui n’est autre chose que la pensée de Dieu même ?