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à jamais. Tout homme qui en approchera s’en ira plus homme. Toute âme abattue, brisée, tout cœur d’homme ou de nation n’a, pour se relever, qu’à regarder là ; c’est un miroir où chaque fois que l’Humanité se voit, elle se retrouve héroïque, magnanime, désintéressée ; une pureté singulière, qui craint l’or comme la boue, est alors la gloire de tous.

Je donne aujourd’hui l’époque unanime, l’époque sainte où la nation tout entière, sans distinction de partis, sans connaître encore (ou bien peu) les oppositions de classes, marcha sous un drapeau fraternel. Personne ne verra cette unité merveilleuse, un même cœur de vingt millions d’hommes, sans en rendre grâces à Dieu. Ce sont les jours sacrés du monde, jours bienheureux pour l’histoire. Moi, j’ai eu ma récompense, puisque je les ai racontés… Jamais, depuis ma Pucelle d’Orléans, je n’avais eu un tel rayon d’en haut, une si lumineuse échappée du ciel…


Et comme tout se mêle en la vie, pendant que j’avais tant de bonheur à renouveler la tradition de la France, la mienne s’est rompue pour toujours. J’ai perdu celui qui si souvent me conta la Révolution, celui qui était pour moi l’image et le témoin vénérable du grand siècle, je veux dire du dix-huitième. J’ai perdu mon père, avec qui j’avais vécu toute ma vie, quarante-huit années.

Lorsque cela m’est arrivé, je regardais, j’étais ailleurs, je réalisais à la hâte cette œuvre si longtemps rêvée. J’étais au pied de la Bastille, je prenais la forte-