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glacée. Spectacle odieux, choquant. Si quelque chose doit être libre, c’est le sentiment fraternel.

La Liberté seule, fondée au dernier siècle, a rendu possible la fraternité. La philosophie trouva l’homme sans droit, c’est-à-dire nul encore, engagé dans un système religieux et politique dont l’arbitraire était le fond. Et elle dit : « Créons l’homme, qu’il soit par la Liberté… » Créé à peine, il aima.

C’est par la Liberté encore que notre temps, réveillé, rappelé à sa vraie tradition, pourra à son tour commencer son œuvre. Il n’écrira pas dans la loi : « Sois mon frère ou meurs ! » Mais par une culture habile des meilleurs sentiments de l’âme humaine, il fera que tous, sans le dire, veuillent être frères en effet. L’État sera ce qu’il doit être, une initiation fraternelle, une éducation, un constant échange des lumières spontanées d’inspiration et de foi qui sont dans la foule, et des lumières réfléchies de science et de méditation qui se trouvent chez les penseurs[1].

Voilà l’œuvre de ce siècle. Puisse-t-il donc enfin s’y mettre sérieusement !

Il serait triste vraiment qu’au lieu de rien faire

  1. Initiation, éducation, gouvernement, trois mots synonymes. Rousseau entrevit quelque chose de cela, quand, parlant des cités antiques, de la foule des grands hommes qu’a donnée cette petite ville d’Athènes, il dit : « C’étaient moins des gouvernements que les plus féconds systèmes d’éducation qui aient été jamais. » Malheureusement le siècle de Rousseau, n’invoquant que la raison réfléchie, analysant peu les facultés d’instinct, d’inspiration, ne pouvait bien voir le passage de l’une à l’autre, lequel fait tout le système de l’éducation, de l’initiation, du gouvernement. Les maîtres de la Révolution, les philosophes, hommes de combat, très raisonneurs et très subtils, eurent tous les