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dehors, elle n’a point de monument. Vivant esprit de la France, où te saisirai-je, si ce n’est en moi ?… Les pouvoirs qui se sont succédé, ennemis dans tout le reste, ont semblé d’accord sur un point, relever, réveiller les âges lointains et morts… Toi, ils auraient voulu t’enfouir… Et pourquoi ?… Toi seul, tu vis.

Tu vis !… Je le sens, chaque fois qu’à cette époque de l’année mon enseignement me laisse, et le travail pèse, et la saison s’alourdit… Alors je vais au Champ de Mars, je m’assieds sur l’herbe séchée, je respire le grand souffle qui court sur la plaine aride.

Le Champ de Mars, voilà le seul monument qu’a laissé la Révolution… L’Empire a sa colonne, et il a pris encore presque à lui seul l’Arc de Triomphe ; la Royauté a son Louvre, ses Invalides ; la féodale église de 1200 trône encore à Notre-Dame ; il n’est pas jusqu’aux Romains qui n’aient les Thermes de César.

Et la Révolution a pour monument… le vide…

Son monument, c’est ce sable, aussi plan que l’Arabie… Un tumulus à droite et un tumulus à gauche, comme ceux que la Gaule élevait, obscurs et douteux témoins de la mémoire des héros…

Le héros, n’est-ce pas celui qui fonda le pont d’Iéna ?… Non, il y a ici quelqu’un de plus grand que celui-là, de plus puissant, de plus vivant, qui remplit cette immensité.

« Quel Dieu ? On n’en sait rien… Ici réside un Dieu ! »

Oui, quoiqu’une génération oublieuse ose prendre ce lieu pour théâtre de ses vains amusements, imités