Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 1.djvu/408

Cette page a été validée par deux contributeurs.

vivent, selon la basse, mais forte parole du Moyen-âge : « À un pain et à un pot[1]. »

N’était-ce pas une chose étrange et dénaturée, propre à sécher le cœur des rois, que de les tenir dans cette solitude égoïste, avec un peuple artificiel de mendiants dorés pour leur faire oublier le peuple ? Comment s’étonner qu’ils lui soient devenus, ces rois, étrangers, durs et barbares ? Sans leur isolement de Versailles, comment auraient-ils atteint ce point d’insensibilité ? La vue seule en est immorale : un monde fait exprès pour un homme !… Là seulement on pouvait oublier la condition humaine, signer, comme Louis XIV, l’expulsion d’un million d’hommes, ou, comme Louis XV, spéculer sur la famine.

L’unanimité de Paris avait renversé la Bastille. Pour conquérir le roi, l’Assemblée, il fallait qu’il se retrouvât unanime encore. La garde nationale et le peuple commençaient à se diviser. Pour les rapprocher, les faire concourir au même but, il ne fallait pas moins qu’une provocation de la cour. Nulle sagesse politique n’eût amené l’événement ; il fallait une sottise.

C’était là le vrai remède, le seul moyen de sortir de l’intolérable situation où l’on restait embourbé.

Cette sottise, le parti de la reine l’eût faite depuis longtemps, s’il n’eût eu son grand obstacle, son embarras dans Louis XVI. Personne ne répugnait davantage à quitter ses habitudes. Lui ôter sa

  1. Voir mes Origines du droit, symboles et formules juridiques.