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Paris. L’incertitude du lendemain, les vaines alarmes, augmentaient encore les difficultés ; chacun se faisait des réserves, on entassait, on cachait. L’administration aux abois envoyait de tous côtés, achetait de gré ou de force. Parfois les farines en route étaient saisies, retenues au passage par les localités voisines qui avaient de pressants besoins. Versailles et Paris partageaient ; mais Versailles gardait, disait-on, le plus beau, faisait un pain supérieur. Grand sujet de jalousie. Un jour que ceux de Versailles avaient eu l’impudence de détourner chez eux un convoi destiné pour les Parisiens, Bailly, l’honnête et respectueux Bailly, écrivit à M. Necker que, si l’on ne restituait les farines, trente mille hommes iraient les chercher le lendemain. La peur le rendait hardi. Sa tête était en péril si les provisions manquaient. À minuit, souvent il n’avait encore que la moitié des farines nécessaires pour le marché du matin[1].

L’approvisionnement de Paris était une sorte de guerre. On envoyait la garde nationale pour protéger tel arrivage, assurer tel et tel achat ; on achetait à main armée. Gênés dans leur commerce, les fermiers ne voulaient pas battre, les meuniers ne voulaient pas moudre. Les spéculateurs étaient effrayés. Une brochure de Camille Desmoulins désigna, menaça les frères Leleu, qui avaient le monopole des moulins royaux de Corbeil. Un autre, qui passait pour agent

  1. Mémoires de Bailly, passim.