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prêtres, propriétaires d’une moitié ou des deux tiers du royaume, ce pouvoir immense, multiple, qui couvrait la France, pouvait-il mourir comme un homme, d’un seul coup, en une fois ? était-il tombé raide mort sous une balle de juillet ? C’était ce qu’on n’aurait pas pu faire croire au plus simple des enfants.

Il n’était pas mort. Il avait été frappé, blessé ; moralement, il était mort, physiquement il ne l’était pas. Il pouvait ressusciter… Comment le revenant apparaîtrait-il ? C’était toute la question que le peuple s’adressait ; c’était celle qui lui troublait l’imagination… Le bon sens prit ici mille formes de superstitions populaires.

Tout le monde allait voir la Bastille ; tous regardaient avec terreur la prodigieuse échelle de corde par laquelle Latude descendit des tours. On visitait ces tours sinistres, ces cachots noirs, profonds, fétides, où le prisonnier, au niveau des égouts, vivait assiégé, menacé des crapauds, des rats, de toutes les bêtes immondes.

On trouva sous un escalier deux squelettes, avec une chaîne, un boulet, que sans doute traînait l’un des deux infortunés. Ces mots indiquaient un crime. Car jamais les prisonniers n’étaient enterrés dans la forteresse ; on les portait la nuit au cimetière de Saint-Paul, l’église des Jésuites (confesseurs de la Bastille) ; ils y étaient enterrés sous des noms de domestiques, de sorte qu’on ne sût jamais s’ils étaient morts ou vivants. Pour ces deux, les ouvriers qui les trouvèrent leur donnèrent la seule réparation que ces