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lionnes. En toute émeute, elles étaient les plus âpres, les plus furieuses ; elles poussaient des cris frénétiques, faisaient honte aux hommes de leurs lenteurs ; les jugements sommaires de la Grève étaient toujours trop longs pour elles. Elles pendaient tout d’abord[1].

L’Angleterre a eu en ce siècle la poésie de la faim[2]. Qui donnera son histoire en France ?… Terrible histoire au dernier siècle, négligée des historiens, qui ont gardé leur pitié pour les artisans de la famine… J’ai essayé d’y descendre, dans les cercles de cet enfer, guidé de proche en proche par de profonds cris de douleur. J’ai montré la terre de plus en plus stérile, à mesure que le fisc saisit, détruit le bétail, et que la terre, sans engrais, est condamnée à un jeûne perpétuel. J’ai montré comment les nobles, les exempts d’impôts se multipliant, l’impôt allait pesant sur une terre toujours plus pauvre. Je n’ai pas assez montré comment l’aliment devient, par sa rareté même, l’objet d’un trafic éminemment productif. Les profits en sont si clairs que le roi veut aussi en être. Le monde voit avec étonnement un roi qui trafique de la vie de ses sujets, un roi qui spécule sur la disette et la mort, un roi assassin du peuple. La famine n’est plus seulement le résultat des saisons, un phénomène naturel ; ce n’est ni la pluie ni la grêle. C’est un fait d’ordre civil : on a faim de par le roi.

  1. Elles pendirent ainsi le 5 octobre le brave abbé Lefebvre, l’un des héros du 14 juillet. Heureusement on coupa la corde.
  2. Ebenezer Elliot, Cornlaws rhymes (Manchester, 1834), etc.