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trouble, de fureur désordonnée. Le matin fut lumineux et d’une sérénité terrible. Une idée se leva sur Paris avec le jour, et tous virent la même lumière. Une lumière dans les esprits, et dans chaque cœur une voix : « Va, et tu prendras la Bastille ! »

Cela était impossible, insensé, étrange à dire… Et tous le crurent néanmoins. Et cela se fit.

La Bastille, pour être une vieille forteresse, n’en était pas moins imprenable, à moins d’y mettre plusieurs jours et beaucoup d’artillerie. Le peuple n’avait, en cette crise, ni le temps ni les moyens de faire un siège régulier. L’eût-il fait, la Bastille n’avait pas à craindre, ayant assez de vivres pour attendre un secours si proche, et d’immenses munitions de guerre. Ses murs de dix pieds d’épaisseur au sommet des tours, de trente ou quarante à la base, pouvaient rire longtemps des boulets ; et ses batteries, à elle, dont le feu plongeait sur Paris, auraient pu, en attendant, démolir tout le Marais, tout le faubourg Saint-Antoine. Ses tours, percées d’étroites croisées et de meurtrières, avec doubles et triples grilles, permettaient à la garnison de faire en toute sûreté un affreux carnage des assaillants.

L’attaque de la Bastille ne fut nullement raisonnable. Ce fut un acte de foi.

Personne ne proposa. Mais tous crurent et tous agirent. Le long des rues, des quais, des ponts, des boulevards, la foule criait à la foule : « À la Bastille ! à la Bastille ! »… Et dans le tocsin qui sonnait, tous entendaient : « À la Bastille ! »