Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 1.djvu/224

Cette page a été validée par deux contributeurs.

là pour y mourir, avait révélé Bicêtre, jeté une première lueur ; un livre récent de Mirabeau avait soulevé les cœurs, terrifié les esprits[1]… Et c’était là qu’on allait mettre des hommes dont le crime était de ne vouloir être que les soldats de la loi.

Le jour même où on va les transférer à Bicêtre, on l’apprend au Palais-Royal. Un jeune homme monte sur une chaise, crie : « À l’Abbaye ! allons délivrer ceux qui n’ont pas voulu tirer sur le peuple ! » Des soldats s’offrent ; les citoyens les remercient et vont seuls. La foule grossit en route, des ouvriers s’y joignent avec de bonnes barres de fer. À l’Abbaye, ils étaient quatre mille. On enfonce le guichet ; on brise, à grands coups de maillets, de haches, de barres, les grosses portes intérieures. Les victimes sont délivrées. On sortait, lorsqu’on rencontre des hussards et des dragons qui venaient bride abattue, l’épée haute… Le peuple saute à la bride ; on s’explique ; les soldats ne veulent pas massacrer les libérateurs des soldats ; ils rengainent, ôtent leurs casques, on apporte du vin, et tous boivent ensemble au roi et à la nation.

Tout ce qui était en prison fut délivré en même temps. La foule mène sa conquête chez elle, à son Palais-Royal. Parmi les délivrés, on portait un vieux soldat qui, depuis des années, pourrissait à l’Abbaye et ne pouvait plus marcher. Le pauvre diable, qui depuis si longtemps n’éprouvait que des rigueurs,

  1. Observation d’un Anglais sur Bicêtre, traduites et commentées par Mirabeau (1788).