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imbu de tous les préjugés anglais, ne peut s’empêcher d’avouer que, dans ce moment décisif, le monde entier regardait, qu’il observait avec une sympathie inquiète la marche de notre Révolution, qu’il sentait que la France faisait à ses risques et périls les affaires du genre humain[1]

Un agronome anglais, Arthur Young, homme positif, spécial, venu ici, chose bizarre, pour étudier l’agriculture, dans un tel moment, s’étonne du silence profond qui règne autour de Paris ; nulle voiture, à peine un homme. La terrible agitation qui concentrait tout au dedans, faisant du dehors un désert… Il entre, le tumulte l’effraye ; il traverse avec étonnement cette capitale du bruit. On le mène au Palais-Royal, au centre de l’incendie, au point brûlant de la fournaise. Dix mille hommes parlaient à la fois ; aux croisées dix mille lumières ; c’était un jour de victoire pour le peuple, on tirait des feux d’artifice, on faisait des feux de joie… Ébloui, étourdi, devant cette mouvante Babel, il s’en retire à la hâte… Cependant l’émotion si grande, si vive de ce peuple uni dans une pensée gagne bientôt le voyageur ; il s’associe peu à peu, sans s’avouer son changement, aux espérances de la liberté ; l’Anglais fait des vœux pour la France[2] !

Tous s’oubliaient. Le lieu, l’étrange lieu où la

  1. Ét. Dumont, Souvenirs, p. 135.
  2. Bien entendu avec beaucoup de réserves, et à condition que la France adoptera la constitution de l’Angleterre. (Arthur Young, Voyage, t. I, passim.)