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plus, était immense : elle pouvait contenir, outre les douze cents députés, quatre milliers d’auditeurs.

Un témoin oculaire, Mme  de Staël, fille de Necker, qui était venue là pour voir applaudir son père, nous dit qu’il le fut en effet, et que Mirabeau venant prendre place, on entendit quelques murmures… Murmures contre l’homme immoral ? Cette société brillante, qui se mourait de ses vices et venait à sa dernière fête, n’avait pas droit de sévérité[1].

L’assemblée essuya trois discours, celui du roi, celui du garde des sceaux et celui de Necker, tous sur le même texte, tous indignes de la circonstance. Le roi se retrouvait enfin en présence de la nation, et il n’avait pas une parole paternelle à dire, pas un mot du cœur pour le cœur. L’exorde, c’était une gronderie gauche, timide, sournoise, sur l’esprit d’innovation. Il exprimait sa sensibilité… pour les deux ordres supérieurs, « qui se montraient disposés à renoncer à leurs privilèges pécuniaires ». La préoccupation d’argent dominait les trois discours ; peu ou rien sur la question de droit, celle qui remplissait, élevait toutes les âmes, le droit de l’égalité. Le roi et ses deux ministres, dans un pathos maladroit où l’enflure alterne avec la bassesse, semblent convaincus qu’il s’agit uniquement d’impôt, d’argent, de subsistances, de la question du ventre. Ils croient

  1. « Quand le roi vint se placer sur le trône, au milieu de cette assemblée, j’éprouvai pour la première fois un sentiment de crainte. D’abord je remarquai que la reine était très émue ; elle arriva plus tard que l’heure assignée, et les couleurs de son teint étaient altérées. » (Staël, Considérations, I, chap. xvi.)