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privilège de l’autre. Et dans la nation alors, aucune distinction possible de peuple et de bourgeoisie[1] ; une seule distinction parut, les lettrés et les illettrés ; les lettrés seuls parlèrent, écrivirent, mais ils écrivirent la pensée de tous. Ils formulèrent les demandes communes, et ces demandes, c’étaient celles des masses muettes, autant et plus que les leurs.

Ah ! qui ne serait touché au souvenir de ce moment unique, qui fut notre point de départ ! Il dura peu, mais il reste pour nous l’idéal où nous tendrons toujours, l’espoir de l’avenir !… Sublime accord, où les libertés naissantes des classes, opposées plus tard, s’embrassèrent si tendrement, comme des frères au berceau, est-ce que nous ne vous verrons pas revenir sur cette terre ?

Cette union des classes diverses, cette grande apparition du peuple dans sa formidable unité était l’effroi de la cour. Elle faisait les derniers efforts auprès du roi pour le décider à manquer à sa parole. Le comité Polignac avait imaginé, pour le mettre entre deux peurs, de faire écrire, signer des princes une lettre audacieuse où ils menaçaient le roi, se portaient pour chefs des privilégiés, parlaient de refus d’impôt, de scission, presque de guerre civile.

Et pourtant, comment le roi eût-il éludé les États ? Indiqués par la Cour des Aides, demandés par les

  1. C’est une erreur capitale des auteurs de l’Histoire parlementaire de marquer cette distinction dans ce beau moment, où personne ne la fit. Elle ne viendra que trop tôt, il faut attendre. Méconnaître ainsi la succession réelle des faits, les amener de force avant l’heure par une sorte de prévision systématique, c’est justement le contraire de l’histoire.