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Comprenons bien ce système.

Pourquoi tel réussit-il ? Qu’a-t-il pour que tout lui succède ? — Il a la grâce de Dieu. Il a la bonne grâce du roi.

Celui qui est en disgrâce, dans ce monde de la Grâce, qu’il sorte du monde… Banni, damné et maudit.

La Bastille, la lettre de cachet, c’est l’excommunication du roi.

L’excommunié mourra-t-il ? Non. Il faudrait une décision du roi, une résolution pénible à prendre, dont souffrirait le roi même. Entre lui et sa conscience, ce serait un jugement. Dispensons-le de juger, de tuer. Il y a un milieu entre la vie et la mort : une vie morte, enterrée. Organisons un monde exprès pour l’oubli. Mettons le mensonge aux portes, au dehors et au dedans, pour que la vie et la mort restent toujours incertaines… Le mort vivant ne sait plus rien des siens, ni de ses amis… « Mais ma femme ? — Ta femme est morte… je me trompe… remariée… — Et mes amis vivent-ils ? ont-ils souvenir de moi ?… — Tes amis, eh ! radoteur, ce sont eux qui t’ont trahi… » — Ainsi l’âme du misérable, livrée à leurs jeux féroces, est nourrie de dérisions, de vipères et de mensonges.

Oublié ! mot terrible. Qu’une âme ait péri dans les âmes !… Celui que Dieu fit pour la vie n’avait-il donc pas le droit de vivre, au moins dans la pensée ? Qui osera, sur terre, donner même au plus coupable cette mort par delà toute mort, le tuer dans le souvenir ?