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Contrat social, peut être discutée, combattue. Mais, par ses Confessions, ses Rêveries, par sa faiblesse, il a vaincu ; tous ont pleuré.

Les génies étrangers, hostiles, ont pu repousser la lumière, mais ils ont subi la chaleur. Ils n’écoutaient pas la parole ; la musique les subjuguait… Les dieux de l’harmonie profonde, rivaux de l’orage, qui tonnaient du Rhin aux Alpes, ont eux-mêmes ressenti l’incantation toute-puissante de la douce mélodie, de la simple voix humaine, du petit chant matinal, chanté la première fois sous la vigne des Charmettes.

Cette jeune et touchante voix, cette mélodie du cœur, on l’entend, quand ce cœur si tendre est depuis longtemps dans la terre. Les Confessions, qui paraissent après la mort de Rousseau, semblent un soupir de la tombe. Il revient, il ressuscite, plus puissant, plus admiré, plus adoré que jamais.

Ce miracle, il l’a de commun avec son rival, Voltaire… Rival ? Non. Ennemi ? Non… Qu’ils soient à jamais sur le même piédestal, les deux apôtres de l’Humanité[1].

Voltaire, presque octogénaire, enterré aux neiges des Alpes, brisé d’âge et de travaux, ressuscite aussi pourtant. La grande pensée du siècle, inaugurée par

  1. Idée noble et touchante de Mme  Sand, qui montre combien le génie est au-dessus des vaines oppositions que l’esprit de système se crée entre ces grands témoins non opposés, mais symétriques, de la vérité. Lorsqu’on proposa naguère d’élever des statues à Voltaire et à Rousseau, Mme  Sand, dans une lettre admirable, demanda que les deux génies réconciliés fussent placés sur le même piédestal… Les grandes pensées viennent du cœur.