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martyr. — Il a tranché la vieille question posée dès l’origine du monde : y a-t-il religion sans Justice, sans Humanité ?


VI


Montesquieu écrit, interprète le Droit, Voltaire pleure et crie pour le Droit. Et Rousseau le fonde[1].

Beau moment où, surprenant Voltaire accablé d’un nouveau malheur, le désastre de Lisbonne, Voltaire aveugle de larmes et ne voyant plus le ciel, Rousseau le relève, lui rend Dieu, et, sur les ruines du monde, proclame la Providence.

Car c’est bien plus que Lisbonne, c’est le monde qui s’écroule. La religion et l’État, les mœurs et les lois, tout périt… Et la famille, où est-elle ? l’amour ? l’enfant même, l’avenir ?… Oh ! que faut-il penser d’un monde où finit l’amour maternel ?

Et c’est toi, pauvre ouvrier, ignorant, seul, abandonné, haï des philosophes, haï des dévots, toi, malade en plein hiver, mourant sur la neige, dans ton pavillon tout ouvert de Montmorency, toi qui veux résister seul, écrire (l’encre gèle à ta plume), réclamer contre la mort.

Est-ce donc avec ton épinette et ton Devin du

  1. Ces pages sur Rousseau ont été écrites en 1847. Elles l’exagèrent peut-être. En 1867, dans mon Louis XVI, j’ai présenté une autre face du génie de Rousseau. En contrôlant ces points de vue l’un par l’autre, on approchera davantage de la vérité (1868).