Page:Michelet - OC, Histoire de la Révolution française, t. 1.djvu/105

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Ces dix années sont la crise même du siècle (1744-1754). Le roi, ce dieu, cette idole, devient un objet d’horreur. Le dogme de l’incarnation royale périt sans retour.

Et à la place s’élève la royauté de l’esprit. Montesquieu, Buffon, Voltaire, publient dans ce court intervalle leurs grandes œuvres ; Rousseau commence la sienne.

L’unité reposait jusque-là sur l’idée d’incarnation, religieuse ou politique. Il fallait un dieu humain, un dieu de chair, pour unir l’Église ou l’État. L’humanité, faible encore, plaçait son union dans un signe, un signe visible, vivant, un homme, un individu. — Désormais l’unité, plus pure, dispensée de cette condition matérielle, sera dans l’union des cœurs, la communauté de l’esprit, le profond mariage de sentiments et d’idées qui se fait de tous avec tous.

Ces grands docteurs de la nouvelle Église, dissidents encore dans les choses secondaires, s’accordent admirablement en deux choses essentielles, qui font le génie du siècle et celui de l’avenir :

1o L’esprit est libre chez eux des formes de l’incarnation ; ils le dégagent de ce vêtement de chair qu’il a porté si longtemps ;

2o L’esprit pour eux n’est pas seulement lumière, il est chaleur, il est amour, l’ardent amour du genre humain. L’amour en soi, et non soumis à tel dogme, à telle condition de politique religieuse. La charité du Moyen-âge, esclave de la théologie, a trop aisément suivi son impérieuse maîtresse ; trop docile, en