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HISTOIRE DE FRANCE

sortes, « subtiliant jour et nuit nouvelles pensées », personne ne l’eût pris pour l’héritier dans la maison de ses pères. Il avait plutôt l’air d’une âme en peine qui, à regret, hantait le vieux logis ; à regret, loin d’être un revenant, il semblait bien plutôt possédé du démon de l’avenir.

S’il sortait des Tournelles, c’était le soir, en hibou, dans sa triste cape grise. Son compère, compagnon et ami (il avait un ami), était un certain Bische, qu’il avait mis jadis comme espion près de son père, et qu’alors il tenait près du comte de Charolais pour lui faire trahir aussi son père, le duc de Bourgogne, pour faire consentir le vieux duc au rachat des places de la Somme. Louis XI aimait incroyablement ce fils ; il le choyait, le couvait. Bische, qui avait plus d’un talent, les menait la nuit, tous les deux, le comte et le roi, voir les belles dames. Ce cher Bische, l’intime ami du roi, pouvait entrer chez lui jour et nuit ; les sergents et huissiers en avaient l’ordre pour lui, pour nul autre ; c’était le seul homme pour qui le roi fût toujours visible, pour qui il ne dormît jamais.

Ce qui l’empêchait de dormir, c’étaient les villes de la Somme. De Calais, qui alors était Angleterre, le duc de Bourgogne pouvait amener l’ennemi sur la Somme en deux jours ; les logis étaient prêts, les étapes prévues. Par cela seul que le duc avait ces places, il commandait, menaçait sans mot dire, tenait l’épée levée… Comment espérer que jamais il voulût la rendre, cette épée ? Qui eût osé lui donner le conseil de se dessaisir d’une telle arme, de lâcher cette forte prise par où